Impact direct des bureaux de change annoncés : l’avenir incertain du marché parallèle de la devise

L’avenir des cambistes informel et du marché parallèle de la devise au coeur du redéploiement annoncé par les autorités monétaires afin de consacrer un meilleur accès à la devise au profit des citoyens.
Avec l’entrée en activité des bureaux de change en réseau conséquent et en offre de devises suffisante sous des critères relativement souples, le change parallèle est appelé à perdre une grosse part de marché.
L’action qu’apporter l’ouverture de ces bureaux va agir sur la demande qui anime ces circuits parallèles et qui a fait flamber les cours des devises face au dinar.
Pour peu que le tout récent règlement adopté par le comité bancaire et monétaire soit rapidement mis en application pour consacrer la libéralisation des bureaux de change, il faut s’attendre également à une importante absorption d’une bonne partie de la masse monétaire de dinars qui échappe aux circuits officiels.
À la condition bien entendu que la semi convertibilité du dinar ainsi introduite soit à la hauteur des niveaux de demande exprimés par les prétendants au change.
Tout se jouera au niveau des seuils et des limites de l’accès à la devise et au taux de change qui y sera consacré.
Le change parallèle qui s’opère à ciel ouvert a depuis toujours existé pour répondre à des besoins réels exprimés aussi bien par deux catégories de demandeurs : les importateurs et les particuliers.
Les particuliers se rabattent sur ce marché pour se procurer la devise nécessaire à leurs voyages, tourismes ou pèlerinage, ou pour des achats spécifiques à l’étranger, , tels des médicaments ou des produits ciblés indisponibles dans le commerce local.
Devant une allocation touristique dérisoire ( environ 88 euros ) accordée une fois par an aux algériens désirant voyager , le circuit parallèle s’impose comme seule solution pour trouver des sommes conséquentes à même de se permettre un voyage de confort.
Consciente de «l’utilité» inéluctable de ce marché, les autorités ferment les yeux sur le caractère illégal de ce commerce lequel représente au regard de la législation des changes, un marché en totale infraction de toutes les lois. Pour autant, la raison prend le dessus et les autorités préfèrent tolérer la pratique qui répond à des besoins que les banques officielles ne peuvent honorer.
Tout le monde trouve son compte. Sauf le dinar et l’acheteur !
Si les particuliers disposent de motifs objectifs et de bonnes raisons pour recourir au change parallèle, faute d’alternative , on ne peut par contre en dire autant pour les importateurs.
L’importateur est un professionnel qui dispose d’un registre de commerce et jouit du libre accès à la devise bancaire au taux de change officiel. Il faut savoir que commercialement , le dinar est convertible dès qu’il s’agit pour un opérateur de prétendre à une opération d’importation.
Qu’est ce qui justifie alors que l’importateur se détourne de la devise bancaire à un taux de change avantageux pour aller l’acheter sur le marché parallèle à des taux prohibitifs?
En réalité , il est question ici d’une catégorie d’importateurs qui ont importé des marchandises sur la base de factures dont la valeur a été minorée.
À l’opposé de la surfacturation, il s’agit ici de manœuvres de sous facturations car le produit importé est frappé de taxes élevées et de droits de douanes maximum ( 30% ). En minorant la valeur, ils parviennent ainsi à faire de l’évasion fiscale.
Pour une importation réelle de 100.000 euros ils présenteront à la banque et aux douanes , une facture minorée . Elle sera de 50.000 au lieu des 100.000 euros qui représentent le prix réel de la marchandise. Mais pour payer le fournisseur étranger, l’importateur fraudeur va transférer par voie bancaire (change officiel ) les 50.000 euros déclarés et devra donc se procurer les 50.000 euros restants pour compléter le paiement au profit de son vendeur étranger.
Le montant dissimulé à la banque et aux douanes, il ira l’acheter sur le marché parallèle pour le transférer soit par valise ou par tout autre moyen illégal lui permettant de faire sortir du liquide par les frontières.
Autrement dit, les importateurs qui font de la fraude fiscale sont les plus gros consommateurs de devises des marchés parallèles , voire les plus gros demandeurs.
D’où viennent toutes ces devises qui s’échangent sur ce marché ?
Chaque marché dispose d’une offre et d’une demande.
L’offre de devises provenait à une certaine époque dans une modeste proportion de la part des familles d’anciens retraités qui bénéficiaient de pensions et allocations en devises pour avoir travaillé à l’étranger, notamment en France.
Par contre les acteurs majeurs qui interviennent comme offreurs de devises sont cette fois ci représentés par une catégorie d’importateurs et d’exportateurs hors hydrocarbures.
Explications:
Il s’agit ici d’une catégorie d’opérateurs qui importent des produits fiscalement privilégiés. C’est à dire des produits que la réglementation a classés comme étant destinés à une large consommation. Des marchandises essentielles. Dans le lot , il y a notamment le lait, les légumes secs et médicaments. Ils sont indexés à de faibles taxes et un droit de douanes minimal ( 5% ) afin de les rendre accessibles au large public.
Dans ce cas, l’importateur indélicat de ces produits de base va profiter de ces avantages fiscaux et douaniers pour procéder à une majoration de valeur . Il y a ici surfacturation.
À l’inverse de l’exemple précédent , pour une importation réelle de 50.000 euros il va présenter à la banque et aux douanes une facture majorée de 100.000 euros. Il va donc transférer par voie bancaire au change officiel , 100.000 euros pour une marchandise qui lui a coûté 50.000 euros. Il versera à la banque la contrepartie en dinars des 100.000 euros de la fausse facture. Il réussira ainsi frauduleusement à faire une véritable opération de change. Un transfert illicite de pas moins de 50.000 euros !
Le fraudeur pourra plus tard , soit acquérir des biens à l’étranger. Soit faire rapatrier ses surplus de devises par des voies obscures afin d’aller les revendre sur le marché parallèle à un taux qu’il lui permettra d’assurer une large marge bénéficiaire.
C’est grâce à cette manœuvre que l’importateur devient un offreur actif sur le change parallèle.
De la même manière, l’exportateur qui minore sa facture afin de dissimuler la vraie valeur de sa marchandise exportée est un potentiel fournisseur du marché parallèle de la devise.
Au regard de la loi , il est tenu de rapatrier le montant de son exportation. Mais en réalité et bien souvent, il contourne cette obligation en facturant au « smig » réglementaire afin de garder à l’étranger une bonne partie du montant non déclaré, fruit de sa transaction.
Il aura par la suite, le loisir de rapatrier ses devises hors des circuits bancaires pour les revendre sur le marché parallèle.
D’ailleurs sur la filière des exportations hors hydrocarbures, durant de longues années, le niveau des volumes exportés ne reflètait pas fidèlement celui des sommes concrètement rapatriées. Les devises qui rentraient étaient en deçà des vraies ventes réalisées.
Si la multiplication des bureaux de change et le volume des devises qui y seront échangés sont à la hauteur des besoins , l’impact sur les cours pratiqués sur le marché parallèle sera efficace. Le différentiel entre le cours officiel et celui du change parallèle sera sensiblement réduit.
Karim. A