Crise politique: L’ingénierie constitutionnelle de l’Algérie

Par : Dr Rafik ALLOUI

Le chef d’état- major de notre Armée Nationale Populaire dans sa dernière intervention du 20 mai 2018, a indiqué que la sortie de crise réside exclusivement dans l’élection d’un nouveau président de la république sans citer la date butoire du 4 juillet 2018.

Il a appelé à la mise en œuvre des articles de la constitution relatifs à l’organisation de ces élections.

 De l’analyse de cette intervention, il semble donner un peu de temps pour  la mise en application d’une ingénierie constitutionnelle qui nous conduit à une phase de diffusion et d’adaptation fondamentale du constitutionnalisme libéral dans les États en crise.

Cette phase effectivement porte un nom : l’ingénierie constitutionnelle qui a été appliquée avec succès en Afrique et en Europe.

En effet, l’ingénierie constitutionnelle semble se justifier par la volonté de reconstruire des États démocratiques conformément au patrimoine constitutionnel commun des sociétés politiques. C’est finalement son rôle déterminant dans l’émergence des instruments et des réseaux nouveaux de l’élaboration constitutionnelle dans la sortie de crise des États en déstabilisation constitutionnelle.

Parmi les instruments et des réseaux nouveaux de l’élaboration constitutionnelle mis en œuvre par l’ingénierie constitutionnelle : la commission électorale comme un outil de sortie de crise.

Nombreuses sont les recherches qui ont été menées dans ce domaine en Europe et en Afrique. Nous citons en particulier la thèse de Moussa Tine intitulée « L’ingénierie constitutionnelle dans le règlement des conflits en Afrique. »

Ainsi que le travail de recherche très intéressant de Séverin Andzoka Atsimouintitulé « L’ingénierie constitutionnelle, solution de sortie de crise en Afrique ?

Les exemples de l’Afrique du Sud, de la République démocratique du Congo, du Burundi et du Congo-Brazzaville en sont évoqués.

Les Commissions électorales considérées comme un outil principal ,explique, Séverin Andzoka Atsimou « sont acceptées pour la première fois non sans mal dans leur  composition et dans leurs modalités de fonctionnement. En effet, la composition, les règles d’organisation, la détermination des objectifs ainsi que les modes de fonctionnement de ces dernières, ont constitué un objet de négociation entre les acteurs politiques et les experts.

Ces éléments permettent aux partis politiques et à la communauté internationale de s’assurer de la neutralité et de la fiabilité du scrutin, dans l’optique de garantir une sortie de crise honorable ; car une élection bien organisée permet aux parties d’être en confiance pour la fin de la crise »

Les principes de la structuration interne des Commissions électorales sont distribués entre, d’une part, les textes constitutionnels législatifs et règlementaires les régissant comme en Algérie stipulés dans les articles 193 et 194, et, d’autre part, entre les textes résultant de leur capacité d’auto-organisation ».

Autrement dit, soit la Commission électorale est une institution autonome ou indépendante, elle ne dépend pas d’un autre pouvoir d’État comme le gouvernement et le parlement. Elle a pour missions générales la préparation, l’organisation des élections, ainsi que la centralisation des résultats du scrutin, qu’elle met à disposition de la juridiction chargée du contentieux électoral (Cour constitutionnelle). Soit, la commission est chargée d’une partie des tâches du processus électoral.

La lecture des articles de la constitution auxquels le chef d’état-major appelle pour  leurs mises en œuvre, nous renvoie plutôt sur la commission chargée d’une partie des tâches du processus électoral.

En effet,l’article 193 stipule « Les pouvoirs publics en charge de l’organisation des élections sont tenus de les entourer de transparence et d’impartialité,en l’occurrence le ministère de l’Intérieur dans notre pays.

Cette instance étatique n’inspirait plus confiance pour une gestion transparente et équitable de la compétition électorale de même que pour nombreux pays. Elle est perçue comme « un système dans lequel il y a incertitude quant aux résultats, mais certitude quant à la procédure ».

Un autre regard démocratique va permettre de faire preuve d’imagination en matière de gestion électorale. C’est tout le sens où l’enjeu de la création des commissions électorales, et, peu importe la dénomination : indépendante, autonome, etc.

Ainsi, M. GAZIBO remarque que « tout l’enjeu de la création d’une commission indépendante était de réunir les conditions procédurales transparentes susceptibles de garantir que les résultats soient incertains pour tous au même degré. D’où l’idée de soustraire l’organisation des élections au ministère de l’Intérieur qui en a traditionnellement la maîtrise et de la confier à une institution neutre.

L’exemple de la commission électorale indépendante qui intervient à toutes les étapes du scrutin est celle de l’Afrique du Sud note Séverin Andzoka Atsimou« Elle est compétente à la création des partis politiques, leur financement, contrôle et supervise les listes électorales de toutes les élections.

L’ingénierie constitutionnelle sud-africaine a compris en outre que les élections ne seraient rien sans que soit fournie une véritable éducation civique de base. Elle a donc également pour mission de prendre en charge l’éducation des votants.

En connaissant les mécanismes électoraux et la manière dont les institutions fonctionnent et gouvernent, les futurs électeurs deviennent peut-être les nouveaux garants de cet outil fondamental. Il est donc essentiel que son indépendance soit garantie, d’où l’importance de sa composition.

Dans le cas où ses membres sont nommés par le Président, ils sont recommandés par l’Assemblée nationale après réception d’une liste fixée de recommandations par un comité interpartis de la même Assemblée. Cette liste résulte elle-même de propositions faites par un groupe comprenant le Président de la cour constitutionnelle, les représentants de la commission des droits de l’homme et de la commission sur l’égalité des genres et du ministère public.

 Ces derniers sont ensuite protégés dans leurs fonctions. Par exemple, un terme ne peut être mis à leur mission que sous des conditions strictes, et après que l’Assemblée nationale ait voté une résolution en ce sens. Ce qui est vraiment innovant dans ce système électoral sud-africain, c’est aussi la création d’une cour électorale par la loi sur la Commission électorale indépendante.

Cette cour permet de vérifier les décisions prises par la commission et d’intervenir, en dernier ressort, dans les cas des contentieux électoraux. Ses membres sont nommés dans les mêmes conditions que les membres d’autres cours de justice.

Pour l’intérêt de la démocratie, c’est cette même Commission électorale qui procède à l’enregistrement des formations politiques et au contrôle de leurs activités et la vérification des comptes de ces partis politiques, qu’elle est habilitée à recevoir. Elle est une commission permanente.  L’idéal serait qu’elle soit une Commission pérenne parce que le processus électoral à proprement parler est un cycle qui implique des activités d’une élection à une autre ».

En définitive, conclut, Séverin Andzoka Atsimou : « vouloir expliquer un phénomène que le droit constitutionnel ne pouvait pas cautionner est un exercice très difficile pour un juriste. Cependant, le raisonnement juridique appréhendant l’ingénierie constitutionnelle, exclusivement dans le cadre des États en crise politique, dans l’intérêt de construire une démocratie constitutionnelle trouve une explication théorique et peut-être fondamentale. C’est pour cette raison qu’il nous a fallu transcender un peu le cadre normatif pour emprunter le cadre politique, voire du non-droit.

D’abord, il a été possible, grâce à l’analyse des ressources de l’ingénierie constitutionnelle dans l’établissement des Constitutions conformément aux valeurs de la démocratie libérale (premièrement). Ensuite, ces ressources ont entraîné des perspectives nouvelles de médiation au cœur des organes constituants (deuxièmement) ».

Il s’emble que c’est dans cette esprit que le chef d’état- major de notre Armée Nationale Populaire, a depuis le début de la crise politique dans notre pays appelé pour le respect de la constitution.

Avec son appel implicite cette fois-ci pour la mise en œuvre de l’outil principal de l’ingénierie constitutionnelle en l’occurrence la commission électorale indépendante mentionnée dans les articles 193 et 194 de la constitution avec bien sûr une autonomie entière, a assuré d’une part, l’application de la constitution.

Et d’autre part, il a satisfait les revendications populaires par la mise à l’écart des deux B (le premier ministre Badoui et le chef de l’Etat Bensalah).  de l’organisation des élections présidentielles.

Le 4 juillet étant quasiment impossible pour organiser les élections présidentielles.

Aux partis politiques, aux experts constitutionnalistes, aux forces vives de la nation : organisons- nous en un temps raisonnable pour mettre en œuvre l’ingénierie constitutionnelle de l’Algérie comme issue à  la crise politique : A bon entendeur !

Dr Rafik ALLOUI

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