Saddedin Merzoug : Le magistrat rebelle destitué, droit dans ses bottes

 Il n’a pas l’étoffe d’un taiseux. D’un   magistrat qui courbe   l’échine face aux injonctions de sa tutelle se contentant de profiter des privilèges   liés   à sa fonction. Saddedin Merzoug 37 ans, a payé le prix dimanche 30 mai de son combat pour l’indépendance de   la justice, par sa radiation du corps judiciaire   décidée par le Conseil supérieur de la magistrature.

Seul contre tous, Saddin Merzoug n’a rien nié de ses convictions face aux membres du CMS, allant jusqu’à lister les manquements de cette structure qui, selon lui, sont aux antipodes de ses    missions de   garante du respect du droit et de la loi : le mandat des huit membres qui siégeaient durant sa    comparution devant la session disciplinaire du CMS a expiré. Sans compter la présence du directeur des ressources humaines du ministère de la justice, alors qu’aucun texte ne lui donne le droit d’être présent, relève le magistrat rebelle.

Interrogé au lendemain de sa radiation sur sa stratégie de   riposte, il confie   n’avoir pas l’intention d’introduire un appel au niveau du Conseil d’Etat. « Il n’a pas le temps »   de dépenser son énergie dans des procédures qui ne le réhabiliteront pas, pense-t-il.

Principale figure du   soulèvement d’un pan du corps des magistrats depuis le début du Hirak , le 22  février, 2019, le juge  Merzoug   était   poursuivi pour  manquement « au devoir de réserve », « entrave à l’action judiciaire » et « incitation à la grève ».. Il lui était reproché principalement ses positions en faveur du boycott des scrutins présidentiels du 18 avril et celui du 4 juillet 2019. Pour cela, il était sous le coup d’une suspension préventive depuis le dépôt de la plainte du ministère de la justice. Mesure   dont la durée dépasse les dispositions   disciplinaires prévenues par la loi portant statut de magistrature.

Cet   acharnement pour   le faire trébucher, ne    déstabilise pas pour autant le jeune magistrat qui   répétait inlassablement pendant sa traversée du désert, « je serai magistrat libre ou partant ».

Devant ses pairs de la session disciplinaire, Sadedin Merzoug reste droit dans ses bottes. Il brandit la position   du syndicat des magistrats qui était prête à superviser le scrutin présidentiel du cinquième mandat. « Si la position du Club des magistrats » qu’il préside est « politique, celle du SNM l’est autant » lâche-t-il.  Sa deuxième arme de défense, la décision du Conseil constitutionnel dans laquelle   il déclarait que « les conditions de transparence et d’impartialité n’étaient pas réunies » pour le scrutin présidentiel du 5 juillet 2019. « Cela signifie un risque de fraude et au sein du Club des magistrats, on refusait de cautionner la démarche » tacle-t-il.

A ces   dossiers, se greffe un ressentiment personnel entre le ministre de la Justice Belkacem Zeghmati et Sadedin Merzoug. Le magistrat   révoqué a, en effet, qualifié d’illégaux, le limogeage en juillet 2019, de Slimane Brahmi et son remplacement par Zeghmati. Il a considéré que Abdelkader Bensalah, alors chef de l’Etat   par intérim a violé les dispositions de la Constitution, qui interdit tout remaniement du gouvernement jusqu’à ce qu’un nouveau président de la république soi élu.

« L’obligation de   réserve ne consiste pas à se taire »   réplique   fermement le magistrat au deal proposé par le ministère : des excuses publiques et le retrait de ses publications critiques sur le fonctionnement du pouvoir judiciaire, en contrepartie de l’abandon de la procédure disciplinaire contre lui.

Celui qui mène une campagne active pour l’indépendance de la justice depuis 2013 est un habitué des sessions   disciplinaires du CSM. En 2016, quelques mois après le lancement du Club des magistrats libres, il est déféré devant ces instances pour ses activités syndicales. Tayeb Louh , le ministre de la  justice de l’époque ne  tolérait pas  l’émergence d’une organisation  concurrence  au  syndicat  national  des magistrats qu’il avait lui-même  présidé durant les années 1990.

 La détermination chevillée au corps, le jeune    juge revendique son « droit à la critique   et la liberté du ton au même titre que tout citoyen » du moment que le magistrat ne « divulgue pas un secret professionnel ». Pour cela, il s’appuie sur les conventions internationales que le pays a ratifié qui garantissent au juge de « disposer de la liberté de croyance, d’expression, d’association et de réunion ». Il pointe du   doigt un conflit de génération dans le corps de la magistrature « Nos ainés n’ont pas la même vision de l’obligation de réserve et de liberté d’expression que nous ».

C’est dans le cadre du respect de ce principe qu’au nom du club des magistrats libres, il a dénoncé fréquemment les « entraves aux processus d’indépendance de la justice » en particulier concernant le dossier des détenus du Hirak. E février 2020, le magistrat   s’est érigé également en soutien de Mohamed Belhadi, procureur-adjoint du tribunal de Sidi M’Hamed, quand il est convoqué par l’Inspection générale du ministère de la Justice, puis muté   à Oued Souf, quelques jours après avoir plaidé pour la relaxe d’une vingtaine de manifestants.

Il n’est    donc guère étonnant que le portrait   de ce juge    intransigeant, sur l’impérative séparation du pouvoir Exécutif du pouvoir judiciaire   soit à l’affiche sur le mur du haut-commissariat des nations unies aux droits de l’homme. C’est ainsi que la diaspora algérienne   venue manifester contre l’escalade de la répression policière   dans le pays, a   souhaité   lui rendre hommage.

Promu par les réseaux sociaux « héros des magistrats », Sadeddin Merzoug garde la tête sur les épaules, pense   à sa reconversion, en attendant  sa réhabilitation   par « le tribunal »de   l’histoire.

Chahra. H

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