La nouvelle de la semaine: Elle…

 

Elle ne se maquille pas, ne se fait pas belle, ne se parfume pas, ne se regarde pas dans la glace comme  la jeune femme qu’elle aurait dû être.

Elle ne sort pas avec des amis, ne sort pas tout court. Elle sait que tout cela lui est interdit, impossible, décidé par le destin qui lui inflige pareille destinée que celle de ne pas être libre.

Elle ne connaitra jamais l’amour, la passion, ni la tendresse d’un homme qui n’aurait pu qu’être séduit par la belle femme qu’elle est.

Sa cage est un appartement, une maison ou une chambre d’hôpital.

Sa cage est son monde tantôt vide, tantôt rempli de cris, je joie ou de lamentations.

Ses journées se suivent et se ressemblent mais ne sont pas un éternel recommencement. Heureusement pour elle, elle peut au moins regarder le ciel même si, que par la fenêtre de la chambre ou du salon. Elle aime voir les rayons du soleil à travers les grandes vitres de la maison et elle s’en contente.

Elle sourit tout le temps comme si la vie lui avait tout donné. Pourtant elle n’a rien, ne peut rien avoir sans qu’on lui donne, sans qu’on veuille bien lui donner. Elle ne vit en fait que pour boire et manger.

C’est écrit.

Non, ce n’est pas écrit, ses droits lui sont spoliés.

La nuit par contre, elle est libre, ses chaines se défont, elle se lève de son fauteuil qu’elle fait rouler en arrière d’un geste prompt et répondant à l’appel des ténèbres , elle s’en va vivre ses songes, elle s’en va faire tout ce que le jour l’empêche de faire. Vous pouvez aller vérifier dans sa chambre, elle n’est plus dans son lit.

Et dans sa fuite vers la lumière diurne, elle retrouve tous ceux qu’elle a perdu de vue, tous les enfants qu’elle a connus dans son enfance et qui comme elle se savaient frappés de malchance. Elle les revoit et ne cache pas sa joie, elle a partagé tant de  moments de solitude avec eux, quand les siens étaient si loin. Elle court d’un endroit à un autre dans ce petit bois qu’elle ne voyait qu’à travers la fenêtre de son centre de rééducation fonctionnelle.

Elle se souvient qu’elle rêvait d’y aller juste pour humer l’odeur de la terre humide et regarder, à travers le branchage des arbres, l’étendue azure qui donne son nom à cette côte.

Les siens ignoraient alors tout de sa souffrance, de son endurance, de sa résignation.

Là où elle était, se souvient-elle encore, quand sa mémoire veut bien lui accorder cette faveur,  tous les enfants étaient frappés de la même peine, par le même sort divin.

Quand on sort le projecteur  Bell Howell pour regarder Alice au pays des Merveilles qu’on projetait sur le mur du salon, on sortait avec toutes les bandes, les films de notre enfance, des films d’elle loin de nous, dans ces endroits plein d’enfants malheureux qui souriaient à la caméra quand on le leur demandait.

 

Tous ces enfants handicapés, atteints de différentes déficiences physiologiques  comme  la polyomiélite. On revoit Djafar muni de ses béquilles, cet enfant aussi seul qu’elle, oublié des siens, qui n’arrêtait pas de sourire.

Loin d’être de belles réminiscences, ces projections étaient une pure souffrance. Une bonne gifle à ceux qui se plaignent de la vie et qui pourtant ne manquent de rien, une gifle à eux qui ne savent pas sourire à la vie alors qu’elle tient à un fil.

Elle retourne dans son lit, la larme au coin de l’œil, elle sait qu’à son réveil son fauteuil roulant sera encore là, il n’aura pas disparu jusqu’à ce que sa mère vienne la poser dessus pour une autre longue journée qui recommencera pour elle.

Ces personnes dans l’impossibilité de se mouvoir librement sont les damnés  de notre société. Des reclus à vie, des condamnés à l’oubli et au dédain.

Nina K.

 

 

 

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