Dépanneurs-remorqueurs : Un métier pas comme les autres

En cas de panne, d’un quelconque souci mécanique, souvent en cas d’accidents : la première idée qui nous passe par l’esprit, serait de composer le numéro d’un dépanneur ou remorqueur.

Mais que connait-on de ces « dépanneurs » qui sillonnent à longueur d’année les rues et ruelles attendant « un appel téléphonique ?»

Afin de répondre à cette question et tant d’autres restées jusque-là, sans réponses, nous avons jugé utile  d’aller à la rencontre de ces derniers.

L’horloge affichait 13h 40 mns en ce jeudi 08 mars quand nous parvenons, au bout de quelques minutes de route d’Alger, au lieu dit Swachette, à mi-chemin entre Rouiba el Hamiz sur la RN 12.

Cet endroit est considéré comme étant le « fief » des dépanneurs de « part son positionnement géographique », nous a affirmé d’emblée Hamid, « remorqueur » depuis six ans déjà.

Ce dernier, nous voyant nous approcher de lui, croyait bien entendu que c’était pour demander  ses services. Ce ne fut assurément pas le cas. À l’idée de faire connaitre «son métier », il ne s’est  pas du tout opposé. Bien au contraire. Il s’est tout de suite dit, «ravi».

« C’est un fait rare. On est souvent sollicité pour le remorquage des véhicules mais pas par des journalistes », a-t-il laissé entendre souriant.  Hamid n’y était pas le seul. Sept véhicules-remorqueurs était stationnés l’un prés de l’autre.

Les « dépanneurs » se connaissent  si bien. Ammi Lounes, est le plus âgé d’entre eux. « Je ne suis pas loin de mes 70 ans », nous a indiqué cet ancien mécanicien ayant passé un peu plus de trente ans à la SNVI ex Sonacome.

Le métier, donc il le connait. Tout de même, c’est Hamid, notre premier interlocuteur qui s’est autoproclamé porte-parole du restant de «l’équipe ».

« Ce n’est pas bon de le dire, mais on y peut rien : la survie de notre métier dépend de ce qui pourrait survenir d’un moment à l’autre sur nos routes. Ne dites surtout pas qu’on est insensibles face aux malheurs des autres. C’est notre gagne-pain et on ne peut rien contre cette réalité même si elle est amère », a enchaîné Hamid quand notre discussion est interrompue par un appel téléphonique.

Il nous propose de l’accompagner. Les détails, on  les connaitra en cours de route. Pour nous, c’est l’occasion « de vivre » du moins pour quelques minutes la vraie vie d’un dépanneur.

« Détrompez-vous, ça n’a jamais été une question de minutes. Il nous arrive parfois de rentrer tard, chacun chez soi. Et cela dépend bien évidemment du trajet à faire », a assuré notre interlocuteur qui s’est déjà engouffré dans son camion de marque japonaise. Le client, à l’autre bout du fil semble impatient. Destination Boudouaou dans la wilaya de Boumerdes.

Pour y parvenir en temps normal, le trajet est d’une trentaine de minutes. Mais, vu les embouteillages fréquents sur nos routes, cela «pourrait prendre une heure ou un peu plus ».

« C’est l’un des inconvénients de ce métier », a déploré Hamid. Son téléphone ne cesse de retentir. « C’est finalement une dame. Sa voiture s’est immobilisée pour des raisons, qu’elle dit ignorer », nous a-t-il explicité.

L’endroit exact est situé pas trop loin du points de contrôle de la gendarmerie nationale au lieu dit Berrahmoun sur l’axe Boumerdes-Tizi-Ouzou. Quarante minutes se seront déjà écoulées depuis que nous avons pris le départ. Comme pour rassurer sa cliente, Hamid la rappelle.

« On n’est pas  trop loin. On y sera dans moins de dix minutes », lui a-t-il dit. Comme souligné auparavant, les embouteillages ne facilitent pas trop la tâche à nos dépanneurs.

Des clients…difficiles

Après prés d’une heure de route, nous parvenons enfin à destination. « La cliente » est une dame  d’une quarantaine d’années. Son téléphone portable en main, elle attend impatiemment que Hamid arrive enfin. Un autre automobiliste se tenait pas trop loin d’elle. « Il me tenait compagnie le temps que vous arriviez », a-t-elle affirmé à Hamid.

Notre présence ne l’inquiétait pas du tout. D’ailleurs, elle ne s’est pas trop posée de question.

Tant mieux. Hamid n’est pas mécanicien. Donc la dame ne devait pas s’attendre à ce qu’il « jette un coup d’œil au moteur de sa berline coréenne immatriculée 15 ».

La solution, alors est de la remorquer jusqu’en nouvelle-ville de Tizi-Ouzou. Mais à quel prix ?

La question mérite d’être posée. Et ce serait d’ailleurs la pomme de discorde entre le dépanneur et sa cliente…qui ne disposait pas d’argent liquide sur elle.   30 minutes depuis que nous sommes sur les lieux et rien n’est encore fait.

Le prix proposé par Hamid est de 17 000 DA. Sa cliente qui trouvait la somme exagérée ne cède pas facilement. Les négociations ont été longues. Hamid plus coriace s’est retrouvé face un dilemme.  « Qui va s’acquitter  des frais du dépannage ? », ne cessait-il de s’interroger.

« Ne vous posez pas trop de question. Vous aurez votre argent comptant, une fois arrivée dans mon quartier », a répliqué la Dame qui s’avère par la suite enseignante dans un lycée à BabEzzouar.

Se voulant plus rassurante, elle (re) contacte «son mari » qu’elle avait informé de sa panne auparavant.

Au bout de deux minutes à peine de discussion, elle tend le téléphone à Hamid. Il est 16 heures passées. L’après-midi risquait de s’allonger. Hamid pas « trop rassuré », vérifie d’abord qu’il s’agit bel et bien du véritable propriétaire du véhicule.

« Dans le cas contraire,  rien n’est à justifier au premier point de contrôle des services de sécurité. Je serais poursuivi de recel de vol de voiture s’il s’avère que j’embarque un véhicule dont le propriétaire n’était pas en ma compagnie. Il ne faut rien laisser au hasard dans ce métier », a encore laissé entendre Hamid qui glisse la carte grise du véhicule dans sa poche.

« Ce serait ma garantie d’être payé pour ma course », a-t-il signifié à sa cliente. Cette dernière n’avait d’autre choix que de se mettre au volant de sa voiture, embarquée. Nous reprenons la route. La ville de Tizi-Ouzou n’est qu’à quelques kilomètres certes, mais cette distance semblait incommensurable pour notre dépanneur.

La crainte de ne pas se faire payer, lui hante encore l’esprit. Tout reste en suspens. Aucune question ne saura être posée tant qu’il ne parvient pas à la Cité 1200 logements.

C’est là, que réside sa cliente. Hamid devrait aussi faire montre d’une grande « vigilance» au volant.  Une erreur quelconque pourrait lui coûter son permis de conduire. Et c’est le chômage assuré. « L’année a été déjà trop difficile pour nous tous en raison de la crise sanitaire. Ce n’est pas après avoir repris à respirer que je vais me comporter en chauffard », dit-il souriant.

Le soulagement

Le camion dépanneur de Hamid continue à avaler les kilométres. Au bout de 35 mns de route environ, il entame le point de contrôle de la Gendarmerie nationale à l’entrée principale de la ville de Tademaït.

Sans surprise aucune, le gendarme en poste lui fait signe de serrer à droite.

« C’était prévisible », selon Hamid qui ne perd pas trop de temps avec l’Homme en vert.

Le contrôle n’aura duré qu’une dizaine de minutes.    Interrogée à son tour, la cliente a assuré qu’elle a fait appel à Hamid après que sa voiture ait été immobilisée.

« Bonne route », a lancé le gendarme. La route reprend. Plus qu’une quinzaine de kilomètres nous sépare  de la Cité 1200 logements.

Hamid sera-t-il soulagé ? Il fallait attendre encore quelques minutes pour le savoir. Dans la cabine, Hamid semblait avoir perdu sa langue.  Il ne souffle mot. Perdu dans ses interrogations, il est vite « réveillé » par un appel téléphonique.

C’est « le mari » de la dame qui est à l’autre bout du fil. Vraisemblablement, sa femme  lui a tout raconté des incertitudes de Hamid.

« Il vient de me prier de me stationner juste à l’entrée du point de contrôle des CNS de Boukhalfa. Il m’a signifié qu’il serait garé pas trop loin de la passerelle donnant sur le centre de formation », s’est-il réjoui.

Hamid reprend son sourire mais il n’a pas encore perçu son argent. Rien n’est encore fait.   Il devrait faire preuve de patience.  Le mari qui se tenait à côté d’un véhicule tout terrain est vite reconnu par Hamid.  Il fait signe de son clignoteur et se positionne juste derrière le  4×4 noir.

« Le mari » a quant à lui s’est rendu compte qu’il s’agit du dépanneur de son épouse. Il aurait du apercevoir la voiture de sa femme de loin. Quoi qu’il en soit, « le mari » tend une enveloppe à Hamid. Une fois comptés, les 12 000 DA sont glissés dans la poche. Hamid est enfin soulagé.

Mais la berline n’est toujours pas débarquée. «Ne connaissant pas bien la ville de Tizi-Ouzou »,  il se renseigne auprès du mari de la distance restante. Kamel qui s’échange de voiture avec son épouse, répond fraîchement : cinq kilomètres environ. Ce n’est pas pour autant la fin du « parcours ».

Hamid qui habite Rouiba, devrait automatiquement refaire le même trajet afin de rentrer chez lui. Il a hâte de prendre Anaïs, son unique fille âgée de deux ans, dans ses bras. Avant cela, il devrait débarquer d’abord la berline. Chose faite au bout d’une dizaine de minutes. Il ne quittera pas la Dame sans s’excuser auprès d’elle de ses suspicions. « C’est légitime », lui a-t-elle répondu.  Fin d’une journée, qui selon les récits de Hamid se « ressemble à toutes les autres ».

Le métier de tous les risques

Dix sept  milles dinars en poche,  Hamid n’a pas à se plaindre de sa journée. Au retour, il accepte de nous déposer à mis chemins.  Tout au long du trajet, Hamid ne cessait d’évoquer les « contraintes » de son métier.

« Les gens disent souvent du mal de nous, nous considérant comme des opportunistes qui se font de l’argent au détriment des désastres  des autres. C’est faux. Nous exerçons un métier comme toutes les professions régies par des lois que n’avons le droit de violer, car les conséquences nous sont néfastes », s’est-il défendu.  Nous profitons de cette brèche pour revenir sur la fameuse « course » qu’il venait d’effectuer pour 12 000 Da et surtout, sur quelle base  sont fixés les prix.

« Avant qu’on ne soit remorqueurs dépanneurs, on est des transporteurs. Et la profession du transport, comme son nom l’indique, consiste à déplacer une marchandise d’un point A à un point B. Autrement, dit : le prix de la course est fixé selon la distance à parcourir.

Et franchement Boudouaou Tizi-Ouzou ville en contrepartie de 17000 DA, est un prix raisonnable», a-t-il ajouté non sans évoquer du coup, « tous les travaux d’entretiens » que nécessite son véhicule ainsi que les frais qui vont avec.

Il a dans ce contexte assuré qu’il mauvaise manipulation du treuil de son camion dépannage lui couterait trop cher estimant le bloc ou treuil à quelques   20 millions de centimes.

A tout cela, selon notre dépanneur, viennent se greffer des contraintes d’une autre nature. «Parcourir de longue distances, parfois la nuit tombée avec de l’argent liquide en poche, est un des risques que nous prenons au quotidien. Par certains endroits, le risque de se faire délester y compris son véhicule est omniprésent », a résumé Hamid, qui nous remet son numéro de téléphone pour un éventuel dépannage. « Faites-le circuler », nous a-t-il recommandé avant de lui souhaiter bonne continuation.

Y.O

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