Crise politique : le dialogue, le président et la vraie transition

Par Docteur Rafik Aloui
En ce jour du 7 Aout 2019, des auto-représentants du mouvement populaire « Hirak » ont assisté à une réunion avec le panel chargé, nous a-t-on dit, de diriger le dialogue.
Une chose est sûre, le « Hirak » ne pourra déléguer personne comme représentant pour dialoguer à sa place.
Pour la simple raison que les millions qui le composent sont les seuls représentants auprès de tout le monde y compris le panel pour faire entendre leur revendication principale criée à haute voix chaque vendredi depuis le 22 février 2019 : un Etat de droit pour une Algérie libre et démocratique.
Qu’à cela ne tienne, surtout que les discussions ont,semble-il, été cadrées pour l’organisation des élections présidentielles dans les plus brefs délais.
Si c’est le cas, cela ne devrait pas poser de problème avec le « Hirak » à condition que l’organisation, le contrôle et la proclamation des résultats soient assurés par une haute instance électorale indépendante dotée de tous les pouvoirs.
La mise en place de cet organisme électoral indépendant par une loi est encore une fois, nous le répétons, une solution constitutionnelle purement technique qui assurera une élection présidentielle sans le ministère de l’intérieur accusé de fraude jadis,ainsi que les services de la présidence, Ce qui pourra rassurer le « Hirak » et par la même l’électorat pour aller voter à la date fixée.
Mais, élire un président de la république serait-il suffisant pour assurer la satisfaction de la principale revendication populaire, à savoir un Etat de droit pour une Algérie libre et démocratique ?
Ce nouveau président de la république aurait-il une baguette magique afin qu’ il soit ej mesure ,du jour au lendemain, à exaucer ce vœu tant attendu par le peuple ?
N’aurait-il pas besoin d’une transition pour arriver à cet objectif ?
Le nouveau président de la république aura en effet besoin d’une transition que l’en veuille ou non. Mais quel type de transition ? Là est la grande question.
La transitologie qui est une discipline et domaine de recherche en sciences politiques permet schématiquement de faire la distinction entre les transitions par le haut ou par le bas.
Les transitions par le haut sont dominées par les élites au pouvoir. Lorsque les élites au pouvoir parviennent à contrôler les modalités de l’ouverture et à imposer leur configuration pour le futur régime, on parle de transition imposée par le haut, Ce qui n’est pas bon pour notre pays car cela maintiendra le même système politique.
Cependant, ces élites au pouvoir doivent souvent composer et négocier avec les élites de l’opposition et de la société civile, on parle alors de transition pactée. Ce qui n’est pas bon non plus, car elle engendrera à terme une résistance pour les mêmes effets que la première.
En 1996,Juan Linz, explique dans un ouvrage collectif qu’il a dirigé avec son camarade Alfred Stepan« Problems of Democratic Transition and Consolidation » qu’à travers l’étude de quatorze cas différents de pays qui ont connu des expériences de transitions démocratiques, les auteurs ont fini par poser un nouveau paradigme d’analyse, toujours axé sur le jeu des acteurs de la transition, mais opérants sur cinq « arènes » nouvelles dans l’analyse de la transition :
La première est la société politique. Il s’agit des acteurs qui ont l’ambition de conquérir le pouvoir. Elle se doit d’être renforcée afin d’avoir une transition ordonnée et consensuelle.
La deuxième est la société civile qui regroupe les acteurs inédits tels que les associations des droits de l’Homme, les syndicats, les ordres corporatistes ou les acteurs religieux.
La troisième est le concept de l’État de droit. Il s’agit principalement des règles qui vont régir le nouveau jeu politique post-autoritaire.
La quatrième est l’État lui-même qui regroupe quelques acteurs qui peuvent nuire ou aider les autres acteurs de la transition, notamment l’armée ou les forces de l’ordre.
La légitimité bureaucratique de l’État ne doit pas être remise en question afin d’avoir une transition stable.
La cinquième est la société économique qui regroupe l’ensemble des structures, privées ou étatiques qui ont la mission d’assurer le lien entre les politiques des dirigeants des périodes transitoires et les attentes populaires.
C’est ce paradigme d’analyse qui prime sur la plupart des analyses faites depuis le milieu des années 90.
Il ne s’agit pas, bien sûr, d’une nouvelle discipline inventée par Linz et Stepan mais plutôt d’un renouveau à l’intérieur même de la transitologie classique.
Ce à quoi nos chercheurs universitaires doivent réfléchir dès maintenant autour de débats organisés pour baliser la voix d’une transition vers la concrétisation de la revendication populaire.
A bon entendeur.
Docteur Rafik Aloui