Choisi Pour Vous: La leçon de Poutine à un journaliste de NBC

Cette interview aussi longue que l’histoire tumultueuse entre les deux puissances , nous la publions en 3 parties. 

Notre collaboratrice Malika Oubraham a tenu à nous inviter à découvrir la leçon politique donnée par l’incomparable Poutine aux Americains , via un journaliste qui a néanmoins tout osé. 

1 ère partie:

Par Keir Simmons
Vladimir Poutine répond aux questions du correspondant de NBC Keir Simmons.
Interview du président Poutine par NBC enregistrée le 11 juin 2021 au Kremlin
Paru le 14 juin 2021.

Keir Simmons : Monsieur le Président, cela fait longtemps que vous n’avez pas été interviewé par une chaîne de télévision américaine. Presque trois ans, je crois. Merci pour votre temps. Il y a beaucoup de choses à discuter. J’espère que nous aurons le temps d’aborder toutes les questions.
Mais je veux commencer par quelques informations récentes aux États-Unis, parues aujourd’hui. Aux États-Unis, il a été rapporté que la Russie se prépare, peut-être dans quelques mois, à fournir à l’Iran un système satellitaire avancé, permettant à Téhéran de suivre des cibles militaires. Est-ce vrai ?

Vladimir Poutine : Pourriez-vous répéter la question ? Nous nous préparerions à pirater quel type d’installations ?

Keir Simmons : Non. Les informations parues aujourd’hui affirment que la Russie se prépare à donner ou à offrir à l’Iran une technologie satellitaire qui permettra à l’Iran de viser militairement, de faire des cibles militaires.

Vladimir Poutine : (Rires) Non. Nous n’avons pas ce genre de programmes avec l’Iran. Non, c’est juste un non-sens encore une fois, encore une fois. Nous avons des plans de coopération avec l’Iran, y compris une coopération militaire et technique. Et tout cela s’inscrit dans le cadre des décisions qui ont été convenues dans notre programme, en ce qui concerne le programme nucléaire de l’Iran dans le cadre des décisions de l’ONU avec nos partenaires dans la préparation du JCPOA [accord sur le nucléaire iranien] par lequel certaines sanctions ponctuelles contre l’Iran, y compris dans le domaine de coopération militaire et technique, devaient être levées. Nous avons certains programmes qui concernent les armes conventionnelles, si cela va jusque-là. Cependant, nous ne sommes même pas encore allés à ce stade. Nous n’avons même pas de véritable coopération dans le domaine des armes conventionnelles. Donc, si quelqu’un invente quelque chose concernant la technologie spatiale moderne, ce n’est que pure fiction. C’est juste une fausse information. Du moins, je ne sais rien de ce genre de chose. Ceux qui en parlent en savent probablement plus à ce sujet. C’est juste un non-sens, de l’info-poubelle.

Keir Simmons : Donc je présume que vous conviendrez que donner à l’Iran une technologie satellitaire qui pourrait lui permettre de cibler des militaires américains dans des endroits comme l’Irak ou de partager ces informations avec le Hezbollah ou les Houthis au Yémen afin qu’ils puissent cibler Israël et l’Arabie saoudite, vous êtes d’accord que donner à l’Iran ce genre de technologie satellitaire serait dangereux ?

Vladimir Poutine : Écoutez, pourquoi parlons-nous de problèmes qui n’existent pas ? Il n’y a pas de sujet de discussion. Quelqu’un a inventé quelque chose, a tout simplement inventé quelque chose de toutes pièces. Peut-être que ce n’est qu’une histoire bidon afin de limiter tout type de coopération militaire et technique avec l’Iran. Je dirai encore une fois qu’il ne s’agit que de fausses informations dont je n’ai aucune connaissance. C’est la première fois que j’entends parler d’une telle information, par votre intermédiaire. Nous n’avons pas ce genre d’intentions. Et je ne suis même pas sûr que l’Iran soit capable d’accueillir ce genre de technologie. C’est un sujet à part, un sujet très high-tech.
Nous n’excluons pas la coopération avec de nombreuses nations du monde dans l’espace. Mais il est probable que tout le monde connasse très bien notre position, à savoir que nous sommes catégoriquement opposés à la militarisation de l’espace. Nous pensons que l’espace devrait être exempt de toutes sortes d’armes situées sur des orbites proches de la Terre. Nous n’avons pas ce genre de plans ou de programmes, notamment concernant le transfert de technologie du niveau que vous venez de décrire.

Keir Simmons : D’accord. Passons à votre sommet avec le Président Biden.
Le contexte du sommet est qu’il rencontre le G7, un groupe auquel vous avez appartenu, avec l’OTAN, avec les dirigeants européens. Le Président Biden a défini son premier voyage en Europe comme, je cite, « visant au ralliement des démocraties du monde ». Il vous considère comme un chef autocrate déterminé à saper l’ordre démocratique libéral. Est-ce vrai ?

Vladimir Poutine : Eh bien, je ne sais pas. Quelqu’un le présente d’un certain point de vue. Quelqu’un regarde l’évolution de cette situation et me considère moi-même d’une manière différente. Tout cela est offert au public d’une manière jugée opportune pour les cercles dirigeants d’un certain pays.
Le fait que le Président Biden ait rencontré ses alliés n’a rien d’inhabituel. Une réunion du G7 n’a rien d’inhabituel. Nous savons ce qu’est le G7. J’y suis allé à de nombreuses reprises. Je sais quelles sont les valeurs promues dans ce forum. Quand les gens se réunissent et discutent de quelque chose, c’est toujours bon. C’est mieux que de ne pas se réunir et de ne pas discuter. Parce que même dans le contexte du G7, il y a des questions qui nécessitent une attention et une considération continues car il y a des différences, aussi étranges que cela puisse paraître. Il peut y avoir des différences dans les évaluations des événements internationaux sur la scène internationale et entre les pays du G7 même. Et c’est très bien de se retrouver et d’en discuter.
En ce qui concerne l’OTAN, j’ai dit à plusieurs reprises que « C’est une relique de la guerre froide. » C’est quelque chose qui est né à l’époque de la guerre froide. Je ne sais pas pourquoi ça continue d’exister.
Il fut un temps où certains disaient que cette organisation serait transformée. Maintenant, c’est un peu oublié. Nous supposons qu’il s’agit d’une organisation militaire. C’est un allié des États-Unis. De temps en temps, il est logique de rencontrer vos alliés, même si je peux avoir une idée de la façon dont la discussion se déroule là-bas. De toute évidence, tout devrait être décidé par consensus. Cependant, il n’y a qu’une seule opinion qui est correcte [celle de Washington]. Alors que les autres opinions ne sont pas tout à fait aussi justes, pour s’exprimer en termes prudents. Eh bien, nous y voilà. Les alliés se rassemblent. Qu’est-ce qu’il y a de si inhabituel à ça ? Je n’y vois rien d’inhabituel. En fait, c’est un signe de respect envers les alliés des États-Unis avant un sommet entre les Présidents américain et russe. Cela est probablement présenté comme un désir de connaître leur opinion sur les questions clés de l’ordre du jour actuel, y compris les questions dont le Président Biden et moi-même discuterons. Cependant, je suis enclin à penser que malgré toutes ces subtilités, les États-Unis, en ce qui concerne leur relation avec la Russie, feront la promotion de ce qu’ils considèrent important et nécessaire pour eux-mêmes, avant tout pour eux-mêmes, dans leurs intérêts économiques et militaires. Cependant, entendre ce que leurs alliés ont à dire à ce sujet – cela ne fait probablement jamais de mal. C’est une procédure de travail.

Keir Simmons : Parlons donc de votre rencontre avec le Président Biden, le sommet qui aura lieu après ces rencontres. Le Président Biden vous a demandé de le rencontrer. Il n’a posé aucune condition préalable. Avez-vous été surpris ?

Vladimir Poutine : Non. Nous avons une relation bilatérale qui s’est détériorée au point le plus bas de ces dernières années. Cependant, il y a des questions qui nécessitent une certaine comparaison des notes et l’identification et la détermination de positions mutuelles, afin que les questions d’intérêt commun puissent être traitées de manière efficace et efficiente dans l’intérêt à la fois des États-Unis et de la Russie. Il n’y a donc rien d’anormal à cela. En fait, malgré cette rhétorique apparemment dure, nous nous attendions à ces suggestions parce que l’agenda politique intérieur des États-Unis nous empêchait de rétablir la relation à un niveau acceptable. Cette réunion aurait dû avoir lieu à un moment donné. Ainsi, le Président Biden a lancé cette initiative. Auparavant, comme vous le savez, il avait soutenu l’extension du traité START, ce qui, bien entendu, ne pouvait manquer de rencontrer un soutien de notre part. Nous pensons que ce traité dans le domaine de la limitation des armes offensives stratégiques a été élaboré de manière approfondie et qu’il répond à nos intérêts et à ceux des États-Unis. On pouvait donc s’attendre à cette offre.

Keir Simmons : Allez-vous participer au sommet en acceptant d’entamer davantage de pourparlers sur le contrôle des armements immédiatement après le sommet ? Parce que comme vous l’avez mentionné, le Président Biden a prolongé le nouveau START de cinq ans. Washington aimerait que ce soit le début, pas la fin de cette conversation.

Vladimir Poutine : Nous savons ce qui compte et quels problèmes les Américains veulent discuter avec nous, et nous comprenons ces questions, ces sujets et ces problèmes. Nous sommes prêts pour ce travail commun. Nous avons des différences, voire des différends, par rapport à des compréhensions divergentes du rythme – à quel rythme et dans quelles directions nous devons avancer. Nous savons ce qui constitue des priorités pour la partie américaine. Et c’est, de manière générale, un processus qui doit être avancé au niveau professionnel à l’instar du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Défense du côté russe, du Pentagone et du Département d’État du côté américain. Nous sommes prêts pour ce travail.
Nous avons entendu des signaux indiquant que la partie américaine aimerait que ces négociations reprennent au niveau des experts professionnels. Nous verrons si les conditions pour cela ont été créées après le sommet. Bien sûr, nous ne disons pas non. Nous sommes prêts à faire ce travail.

Keir Simmons : Le Président Biden veut de la prévisibilité et de la stabilité. Est-ce que c’est ce que vous voulez ?

Vladimir Poutine : Eh bien, c’est la chose la plus importante. C’est la valeur la plus importante, si vous voulez, dans les affaires internationales.

Keir Simmons : Désolé de vous interrompre. Mais il dirait que vous avez causé beaucoup d’instabilité et d’imprévisibilité.

Vladimir Poutine : Eh bien, il dit une chose. Je dis autre chose. Mais peut-être qu’à un moment donné, à certains égards, notre rhétorique varie et est différente. Mais si vous me demandez mon avis maintenant, je vais vous le donner. La valeur la plus importante dans les affaires internationales est la prévisibilité et la stabilité. Et je crois que de la part de nos partenaires américains, c’est quelque chose que nous n’avons pas vu ces dernières années. Quel genre de stabilité et de prévisibilité pourrait-il y avoir si nous nous souvenons des événements de 2011 en Libye où le pays a été essentiellement démantelé, brisé ? Quel genre de stabilité et de prévisibilité y avait-il à cela ?
On a parlé d’une présence continue de troupes en Afghanistan. Et puis tout d’un coup, boum ! Les troupes se retirent d’Afghanistan. Est-ce de nouveau de la prévisibilité et de la stabilité ?
Maintenant, considérons les événements du Moyen-Orient. Est-ce de la prévisibilité et de la stabilité? A quoi tout cela mènera-t-il ? Et en Syrie ? Qu’est-ce qui est stable et prévisible à ce sujet ?
J’ai demandé à mes homologues américains : « Vous voulez qu’Assad parte ? Qui le remplacera ? Que se passera-t-il lorsqu’il sera remplacé par quelqu’un ? » La réponse est étrange. La réponse est : « Je ne sais pas. » Eh bien, si vous ne savez pas ce qui va se passer ensuite, pourquoi changer ce qui existe ? Ce pourrait être une deuxième Libye ou un autre Afghanistan. Voulons-nous cela ? Non. Asseyons-nous ensemble, parlons, cherchons des solutions de compromis acceptables pour toutes les parties. C’est ainsi que la stabilité est atteinte. On ne peut y parvenir en imposant un point de vue particulier, le point de vue « correct », alors que tous les autres sont considérés incorrects. Ce n’est pas ainsi que la stabilité est atteinte.

Keir Simmons : Passons à d’autres problèmes. Je veux juste parler un peu plus de votre relation avec le Président Biden. Ce ne sera pas le sommet d’Helsinki (avec Trump). Le Président Biden n’est pas le Président Trump. Vous avez un jour décrit le Président Trump comme une personne brillante, talentueuse. Comment décririez-vous le Président Biden ?

Vladimir Poutine : Eh bien, même aujourd’hui, je pense que l’ancien Président des États-Unis, M. Trump, est un individu extraordinaire, un individu talentueux, sinon il ne serait pas devenu Président des États-Unis. C’est un individu haut en couleur. Vous pouvez l’aimer ou non. Et il ne venait pas de l’establishment américain. Il n’avait jamais fait partie de la grande politique auparavant, et certains l’aiment, d’autres ne l’aiment pas, mais c’est un fait.
Le Président Biden, bien sûr, est radicalement différent de M. Trump parce que le Président Biden est un homme de carrière. Il a passé pratiquement toute sa vie adulte en politique. Il le fait depuis de nombreuses années, je l’ai déjà dit et c’est une évidence. Il suffit de penser au nombre d’années qu’il a passées au Sénat, et combien d’années il a été impliqué dans les questions de politique internationale et de désarmement, pratiquement au niveau d’expert. C’est un autre type de personne, et j’espère sincèrement que oui, il y a des avantages et des inconvénients, mais il n’y aura pas de réactions ampulsives de la part du Président américain en exercice, que nous serons en mesure de respecter certaines règles d’engagement, certaines règles de communications et saurons trouver des points de contact et des points communs.

Keir Simmons : Eh bien, le Président Biden a dit qu’une fois, lorsque vous vous êtes rencontrés, que vous étiez à quelques centimètres l’un de l’autre, proches l’un de l’autre, il vous a dit : « Je vous regarde dans les yeux et je ne vois pas d’âme. » Et vous auriez répondu : « Nous nous comprenons. » Vous souvenez-vous de cet échange ?

Vladimir Poutine : En ce qui concerne l’âme, je ne suis pas sûr. Il faut penser à ce qu’est l’âme. Mais je ne me souviens pas de cette partie particulière de nos conversations, pour être honnête avec vous. Je ne m’en rappelle pas. Nous tous, lorsque nous nous rencontrons, lorsque nous nous réunissons, lorsque nous discutons, lorsque nous travaillons et nous efforçons de trouver des solutions, nous procédons tous à partir des intérêts de nos nations et de nos États. Et c’est fondamental, c’est le fondement de toutes nos actions et intentions. Et c’est la force motrice et le motif pour organiser des réunions de ce genre. Et en ce qui concerne l’âme, c’est quelque chose qui relève plutôt de l’église.

Keir Simmons : Oui. Vous êtes un homme religieux. Le Président Biden dit qu’il vous a dit en face : « Vous n’avez pas d’âme. »

Vladimir Poutine : (Rires.) Je n’en ai aucun souvenir. « Quelque chose ne va pas avec ma mémoire. »

Keir Simmons : Il dit que c’était il y a environ 10 ans, quand il était vice-président.

Vladimir Poutine : Eh bien, il a probablement une bonne mémoire. Je n’exclus pas cela, mais je ne m’en souviens pas. Dans les rencontres personnelles, les gens essaient d’agir de manière appropriée. Je ne me souviens d’aucun comportement inapproprié de la part de mes homologues. Je ne pense pas que quelque chose comme ça se soit produit. Peut-être qu’il a dit quelque chose, mais je ne m’en souviens pas.

( À Suivre…)

In Arrêt sur info.

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