Casse Auto, un business en or et en hors taxes…

Oued Ksari : le royaume de la casse auto.
Aït Yahia Moussa (anciennement Oued Ksari), est sise à 25 km au sud-ouest de Tizi Ouzou et à 115 km au sud-est d’Alger. Sur cet axe qui relie cette dernière à Draâ El Mizan, des terrains vagues jonchés de carcasses de voitures réformées ne passent pas inaperçus. Même la réalisation récente dans les alentours du nouveau barrage d’Assif N’Tlata, ne fait pas « oublier» le passé de la casse, l’une des plus connues à l’échelle nationale.
« Vaut mieux surtout pas se présenter en tant que journaliste. On ne les aime pas trop. Ces revendeurs n’aiment pas les curieux », nous dira d’emblée Nacer, revendeur de voiture d’occasion qui s’est reconverti en notre guide, l’espace d’une visite dans un «marché» pas comme les autres.
Avions-nous le choix ? Assurément pas. Nous prenions ses « conseils » en compte et nous nous sommes contentés juste d’«observer».
Au bout de prés de deux heures de route d’Alger, nous parvenons enfin à Oued Ksari. A voir toutes ces voitures « réformées », l’on se rendrait en toute évidence « que la route fait vraiment des victimes ». Beaucoup de victimes même. Pour les « revendeurs », chacune des voitures, a son histoire mais «c’est de l’argent en plus ».
« Vous semblez perdus. Vous n’avez rien vu du tout. Il nous arrive d’arracher une pièce d’un véhicule encore immaculé de sang. On n’ y peut rien. Vous vous direz que nous sommes insensibles, mais détrompez-vous. C’est à force de voir ce genre de véhicules-immaculés de sang- qu’on s’est habitué », nous a lancé un revendeur assis tranquillement entrain de feuilleter un quotidien. Il a réagi après que nous avoir vus figés devant un Citroën C5 qui « vient juste de rentrer ». « Une famille de quatre personnes y a perdu la vie », selon les dires du dépanneur qui venait de la déposer.
Question d’argent, pas besoin de trop se poser de questions ni du prix « du rachat » ni encore moins de celui du « remorquage ».
Il fallait se ressaisir. Il ne fallait en aucun cas oublier qu’on est « à la recherche d’un arbre à came » pour notre véhicule, un tout terrain Jeep Grand Cherokee. « Vous êtes à la bonne adresse. Pas besoin d’aller ailleurs. Comme vous pouvez bien le constater, ici à chacun sa marque ». Moi, les Jeep, ce n’est pas mon créneau. Je peux par contre vous orienter vers mon frère », nous a répondu Belkacem. Agé d’environ la quarantaine, il a en outre affirmé que l’activité « est héréditaire» alors qu’il prend son téléphone portable pour « aviser » son frère de l’arrivée « de deux clients ».
La distance qui sépare les deux « magasins » est d’environ 1000 mètres. « Ce qui vous permettra de constater de visu les rouages de cette activité», nous a encore souligné Nacer, notre guide.
En effet, en ce samedi ensoleillé de ce mois de mars, « la Casse » grouillait de monde. Il est presque dix heures. Sur les deux bas côtés, des véhicules immatriculés de presque les 48 wilayas renseignent sur la « réputation » de l’endroit.
Rencontrer des « clients » des wilayas du Centre, c’est chose évidente mais l’on ne s’attendait nullement à des acheteurs venus de la wilaya d’Illizi (11). Curiosité oblige, nous nous rapprochons de Saïd.
« Ce genre de commerce n’est pas du tout répandu au Sud. Il est vrai que trois jours de route séparent Tizi-Ouzou de Illizi mais je n’avais guère le choix. Cela fait presque six mois depuis que je suis à la recherche d’une boite à vitesse d’origine pour notre Toyota Station. Abdelhamid, mon collègue de travail (enseignant), m’a convaincu qu’il ne faut pas aller chercher ailleurs qu’ici à Oued Ksari. Il avait raison. Le prix importe peu.
L’essentiel c’est que notre véhicule circulera à nouveau », a-t-il affirmé. Nous laissons ce dernier « négocier le prix » et continuons notre randonnée. Le frère de Belkacem n’est pas trop loin.
De l’ancien, au prix du neuf.
Même le marché des pièces de rechange d’occasion ou usée ne semble pas échapper à la règle du « prix libre ». Profitant de l’indisponibilité de certaines pièces de rechanges de certaines marques, ces revendeurs « exercent » leur «propre loi », a déploré dans le contexte Azzedine. Tout a commencé quand soudain une rixe éclate.
« En voila encore une autre bagarre », avoue notre guide. C’est un rituel. Ne vous inquiétez pas trop mais tenez vous en dehors », nous a-t-il recommandé comme pour nous affirmer que ce n’est pas un fait nouveau. Que s’est-il donc passé? Azzedine, un revendeur de chaussure, vient de Tipaza. Il est venu acheter un ventilateur pour son Mercedes Veto.
« Au prix qu’on vient de me proposer ici, je pourrais m’en acheter deux ventilateurs ailleurs. Il est certes que je suis dans le besoin mais, je dirais qu’à ces prix pratiqués, vaut mieux rebrousser chemin. Faudrait-il rappeler à ces commerçants qu’ils sont en train de revendre de la pièce de rechange usée ? », s’est-il lamenté. Assurément pas. De son côté, le revendeur ne semblait pas du tout alarmé.
« Tu sais, ici tout se vend. T’es libre de prendre ou pas. Me concernant, je revends un produit non périssable. À mon avis, tu es le seul perdant dans toute l’affaire », lui a-t-il asséné.
Au bout d’un quart d’heure, le calme revient enfin. Grâce à des intermédiaires, un terrain d’entente est trouvé. Azzedine semblait intéressé par l’offre du revendeur. Ce « désaccord » nous pousse de notre part à nous poser des questions quant au prix qui nous sera proposé pour notre arbre à came.
Une discussion peu en cacher une autre.
« Nous avons toute la journée devant nous. Pourquoi ne pas s’attabler et prendre un café», s’est exclamé notre accompagnateur. Trop au fait des rouages des marchés automobiles, Nacer a assuré que c’est dans ce genre d’endroits (gargote et cafétérias) que les grosses affaires se traitent.
« Ouvrez bien grand vos oreilles et surtout ne vous mêlez pas d’une quelconque discussion. Ils ne sont pas plaisantins. Vous pourrez vous faire piéger par un seul mot », nous a-t-il suggéré.
Autour d’une table, quatre individus parlaient de voitures immatriculées en France. Le sujet devenait de plus en plus intéressant d’autant que l’un d’eux paraissait « un véritable connaisseur ».
«Puisque vous êtes une connaissance de mon beau frère, considérez que votre (…) est vendue d’avance. On se donne rendez-vous à (…) dans deux jours. À peine les cafés et le jus sirotés, les individus s’apprêtaient à quitter quand nous interpellons le « revendeur » des voitures « des émigrés ». En un clin d’œil, notre Jeep Grand Cherokee est proposé pour la vente. Mais est-ce vraiment aisé de vendre un véhicule immatriculé à Montreuil dont la première année de mise en circulation remonte à…2002?
« Là, c’est mon problème. Ne vous vous faites aucun souci. Tout ce que je vous demande serait de justifier que ce véhicule dont vous parlez, vous appartient et qu’il est de façon régulière en Algérie. Le reste, est de notre ressort », a noté notre interlocuteur. Au lieu de (je), il emploie le (nous). Que comprendre ? Qu’il n’est qu’un maillon d’un autre «réseau » spécialisé pour sa part dans la revente des voitures « européennes». Nous lui laissons (un faux) numéro de téléphone et nous lui promettons de repasser « avec le passeport » pour que lui, pour sa part, « s’arrange pour le reste ». Plus besoin de l’arbre à came. Notre Jeep vient d’être « vendue ».
Un marché qui rapporte mais qui échappe à tout contrôle.
Dans un marché tel que celui de Oued Ksari, de la casse auto, maintes questions restent tout le temps posées. Pas besoin de rappeler qu’il n’est nullement question d’aller chercher à comprendre qui en est le véritable patron quoi que beaucoup de noms soient souvent répétés. Mais il est, par contre légitime de se demander si vraiment les voitures volées n’atterrissent pas de ce côté de la Terre.
En effet, des milliers de voitures sont volées annuellement à travers les quarante huit wilayas. Aucun bilan n’est précis à ce sujet. Ce qui est sûr et même certain c’est que le phénomène prend de l’ampleur. Et les réseaux spécialisés utilisent des moyens de plus en plus sophistiqués. Les services de sécurité parlent de l’utilisation de scanners qui balayent tous les codes électroniques de la voiture pour déverrouiller/reverrouiller les portes sans les abîmer. C’est dire que les voleurs, innovent tout le temps en la matière. « Ils ne sont jamais à cours d’astuces », nous a confié un officier de police.
Tout de même, une question s’impose : Pourquoi est-il si ardu de retrouver une voiture volée ? Pour notre officier : le phénomène est directement lié à la facilité anormale que trouvent les réseaux de vol à écouler ces véhicules. « Je ne peux être plus précis mais des enquêtes menées ici et là, ont malheureusement démontré que la plupart des véhicules volés terminent leur courses dans ce genre de marchés de pièces de rechanges usées », s’est il contenté de dire. « Etant des véritables professionnels, ils (revendeurs et voleurs) brouillent pratiquement toute piste remontant le fil vers eux. Ils sont trop malins. Ils ne laissent rien au hasard », a encore ajouté notre officier.
Pour les connaisseurs : N’importe qui peut écouler ses pièces de rechange dans ce marché sans avoir l’obligation de fournir des documents ou de laisser la moindre trace de l’origine de la marchandise vendue. Il est ainsi clair que le manque d’organisation du marché de la «casse» favorise ce trafic de vol de voitures.
Y.O